Il y a 300 millions d’années : le climat de la Terre sous l’emprise de la tectonique

Les causes des fluctuations du climat de la Terre aux échelles de temps très longues (>1 million d’années) restent encore largement méconnues. C’est dans le cadre théorique de la  reconstruction du cycle géologique du carbone que les chercheurs du GET (CNRS, Université Toulouse 3 Paul Sabatier, IRD, CNES) et du CEREGE (CNRS, Université Aix Marseille, IRD, Collège de France) tentent de comprendre l’apparition et la disparition des âges glaciaires. En particulier, les chercheurs de la présente étude se sont attachés à comprendre la mise en place et la fonte finale du plus long et plus prononcé de ces âges glaciaires depuis l’apparition des organismes pluri-cellulaires : la glaciation Permo-Carbonifère (330-290 millions d’années environ), ou Late Paleozoic Ice Age (LPIA).

Condition indispensable au maintien de la vie sur Terre depuis des milliards d’années, les fluctuations de la teneur en CO2 dans l’atmosphère doivent être limitées par un mécanisme naturel qui empêche tout basculement vers des valeurs extrêmes, afin de maintenir un climat favorable. On sait que les fluctuations du climat sont conditionnées par 2 processus antagonistes, la production naturelles de CO2, liée au dégazage de la Terre suite à son activité magmatique et sa consommation par la dissolution lente des roches continentales véritable puits de CO2. Le mécanisme d’autorégulation, véritable thermostat terrestre, a été identifié dans les années 1980. Si le volcanisme vient à augmenter la teneur en CO2 alors le climat est plus chaud et globalement plus humide, il en résulte une accélération de la dissolution des roches et la consommation du CO2 associée. On parle de rétroaction négative : la conséquence s’oppose à la cause, et contient donc les teneurs en CO2 dans des limites acceptables pour le vivant.

Topographie des continents à 310 millions d’années, en mètre au-dessus de la mer, telle qu’utilisée dans le modèle GEOCLIM
Topographie des continents à 310 millions d’années, en mètre au-dessus de la mer, telle qu’utilisée dans le modèle GEOCLIM © Y. Goddéris

Les causes de la glaciation Permo-Carbonifère ont longtemps été attribuées à la colonisation des continents par les plantes vasculaires. En effet les plantes sont capables d’accélérer la dissolution des roches continentales grâce, entre autres, aux sécrétions de leurs racines. Cette accélération force le CO2 à décroître, ce qui peut entraîner la mise en place d’une glaciation. Mais si cet effet des plantes est indiscutable, il ne peut plus être invoqué comme cause de la glaciation Permo-Carbonifère, car des études récentes montrent que la colonisation des continents par les plantes est achevée vers 380 millions d’années, soit plusieurs dizaines de millions d’années avant le début de la glaciation.

Et la tectonique dans tout ça ? Moteur majeur de l’évolution de notre planète, elle avait été un peu oubliée, cachée par la forêt (au sens propre)… Les chercheurs du GET et du CEREGE sont partis du constat que la période glaciaire est contemporaine de deux épisodes tectoniques majeurs : la surrection de la chaîne de montagnes hercynienne, qui résulte de la collision entre le Gondwana et la Laurussia, et la formation du super-continent Pangée.

L’équipe du GET et du CEREGE a quantifié l’impact de ces deux événements sur l’évolution du climat de la fin du Paléozoïque, dans une fenêtre allant de 350 à 270 millions d’années dans le passé. La première étape a été le développement d’un modèle numérique couplant pour la première fois, à l’échelle de la Terre entière, les processus d’altération chimique des roches et d’érosion physique des continents. Ce modèle a ensuite été inclut dans le modèle numérique GEOCLIM qui simule l’évolution temporelle du cycle du carbone géologique et du climat. A l’aide de cet outil, les chercheurs ont montré que la surrection de la chaîne hercynienne dans la zone équatoriale à partir de 330 millions d’années s’est accompagnée d’une érosion intense, facilitée par un ruissellement pouvant atteindre plusieurs mètres par an par endroit. Ce décapage intense évacue les sols tropicaux épais qui s’étaient mis en place avant la surrection, et permet l’exposition de roches fraîches. Attaquées par le CO2 atmosphérique, dissous dans l’eau de pluie, ces roches s’altèrent rapidement, piègent le CO2 et le forcent à passer sous le seuil de glaciation vers 330 millions d’années. A partir de 290 millions d’années, la chaîne hercynienne perd rapidement de son altitude à la fin de l’épisode orogénique. L’altération chimique des roches continue à produire des sols. Mais l’érosion physique diminue, ce qui autorise à nouveau le développement de sols très épais qui finalement protègent la roche fraîche de l’altération. La consommation de CO2 diminue. En outre, l’assemblage final de la Pangée autorise le développement d’énormes surfaces arides dans les zones tropicales. Le manque d’eau limite la dissolution des roches dans ces zones. Ces deux effets se combinent, l’efficacité de l’altération chimique des roches diminue fortement, le CO2 augmente et franchit le seuil de déglaciation. Ce qui met un terme à la glaciation Permo-Carbonifère.

Pour la première fois ce scénario quantitatif permet d’expliquer la mise en place et la fin de la glaciation permo-carbonifère, en accord avec les reconstructions de CO2 atmosphériques basées sur des données, ainsi qu’avec l’évolution de traceurs de l’altération (comme le rapport 87Sr/86/Sr des carbonates sédimentaires).

Référence :

Y. Goddéris (GET UMR 5563), Y. Donnadieu, S. Carretier, M. Aretz, G. Dera, M. Macouin, V. Regard, Onset and ending of the Late Palaeozoic ice age triggered by tectonically paced rock weathering. Nature Geoscience, 2017.

Contact: Yves Goddéris

Yves Goddéris, GET, yves.godderisSPAMFILTER@get.omp.eu

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