De l’or sous les volcans ?

Une étude récente menée par une équipe franco-russe comportant des chercheurs du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET/OMP, UPS / IRD / CNRS / CNES) et de l’Institut des Gisements Métallifères (IGEM, Russie) vient de remettre en question le paradigme selon lequel le CO2 a joué un rôle mineur dans la formation des dépôts de métaux. De tenir compte des effets du CO2 sur la solubilité des métaux a permis aux chercheurs d’expliquer de façon élégante les signatures des métaux dans les gisements de type or orogénique et de suggérer l’existence probable de riches gisements d’or et de cuivre sous les volcans.

Photos de microscopie optique à transmission et à réflexion d’une veine de quartz et pyrite (image de fond) provenant d’un gisement d’or orogénique de Madagascar comportant des graines d’or millimétriques (image en bas à gauche) et des inclusions fluides microscopiques (image en haut à gauche). Ces inclusions triphasées, piégées par les cristaux de quartz en même temps que précipitent les grains d’or, sont constituées de CO2 liquide, CO2 vapeur et H2O liquide. Elles témoignent de la présence d’un fluide supercritique aurifère très riche en CO2 (jusqu’à 70 pds%) qui a transporté et déposé l’or à haute température et pression. © Stefano Salvi, GET

Le CO2 est, après l’eau, le deuxième constituant le plus abondant des fluides géologiques de haute température et pression qui opèrent dans la lithosphère, transportant la matière et formant des dépôts métalliques. Cependant, le rôle du CO2 dans ces processus a été quasiment ignoré jusqu’à présent, principalement en raison de la nature chimique inerte de cette molécule qui, contrairement à l’eau, a un très faible pouvoir de dissolution.

Une équipe franco-russe comportant des chercheurs du GET et de l’IGEM a mesuré les capacités de mélanges eau-CO2-sels-soufre typiques des fluides de la croûte terrestre [teneurs en CO2 pouvant aller jusqu’à 50 pds% (pourcentage en poids)] à solubiliser les minerais contenant des métaux de haute valeur économique comme l’or (Au), le fer (Fe), le cuivre (Cu), le molybdène (Mo), le platine (Pt) et l’étain (Sn). Pour cela, ils ont mis en œuvre des réacteurs chimiques – une sorte de cocotte-minute capable d’atteindre des températures de 500°C et des pressions de 2 kbar, soit des conditions équivalentes à celles rencontrées à une profondeur de 6-8 km environ.

Ces mesures montrent que, contrairement à toutes attentes, la présence du CO2 dans le fluide à des effets très contrastés sur la solubilité des différents métaux. Par exemple :

–       l’apport de CO2 enrichit en fer et or une phase fluide de faible salinité et teneur en soufre, alors que le même apport appauvrit considérablement en ces mêmes métaux un fluide riche en sel et soufre.

–       dans la plupart des fluides, la solubilité du cuivre diminue fortement en présence du CO2, alors que celle des autres métaux augmente (Sn) ou reste constante (e.g. Pt, Mo).

Les chercheurs ont pu interpréter ces résultats surprenants à l’aide d’un modèle physico-chimique basé sur la constante diélectrique du solvant H2O-CO2, laquelle dépend de la polarité des molécules composant le fluide. H2O étant fortement polaire et CO2 apolaire, la présence de molécules de CO2 conduit à un abaissement considérable de la constante diélectrique du fluide, ce qui devrait empêcher les molécules polaires de H2O de se lier aux ions métalliques et ainsi de les stabiliser.

Il s’avère que l’ajout du CO2 modifie effectivement les teneurs des complexes métalliques en fonction de leurs charges électriques : les complexes chargés (qui préfèrent un milieu de forte constante diélectrique) deviennent moins abondants et les complexes neutres (qui aiment les solvants de faible constant diélectrique) prédominent. Il en résulte des changements de solubilité très contrastés selon la nature du métal, l’identité de ses complexes majeurs et la composition du fluide.

Ces résultats expérimentaux et de modélisation ont permis aux chercheurs de fournir une explication élégante des signatures des métaux dans les gisements de type or orogénique, riches en fer, or et métalloïdes (arsenic, tellure) mais pauvres en cuivre, qui font partie des plus importants producteurs mondiaux d’or. Les fluides qui ont formé de tels gisements étaient de faible salinité et avaient des teneurs en CO2 pouvant aller jusqu’à 50-90 pds%, ce qui a favorisé la solubilisation des complexes neutres du fer (FeCl20) et de l’or (AuHS0), alors que ceux du cuivre (CuCl2-) devenaient très peu stables.

Les chercheurs ont également étudié, à l’aide du même modèle, le comportement des fluides des grands gisements associés à des plutons magmatiques (de type porphyre) d’où provient la majeure partie de la production mondiale de cuivre. Ces fluides sont enrichis en sel (NaCl) et soufre, et les complexes chargés y prédominent (e.g., FeCl42-, CuCl2-, Au(HS)2-). Il s’avère qu’une injection de CO2 dans un tel fluide par un pulse de CO2 venant de la chambre magmatique provoquerait une précipitation massive des métaux (Au, Cu, Fe) par déstabilisation de ces complexes. Les phénomènes d’éjection du CO2 de la chambre magmatique sont connus dans les volcans actifs modernes et sont dus à une assimilation de roches carbonatées par le magma ou encore à un mélange de deux magmas, andésitique et basaltique. Il est donc possible que de riches gisements d’or et de cuivre se cachent sous les volcans.

Les résultats de ce travail révèlent les capacités insoupçonnées de la molécule de CO2 à transporter et à déposer les métaux à travers la croûte terrestre, dont il faudra tenir compte dans les études portant sur l’élaboration des modèles de formation des gisements et sur les stratégies de prospection.

Contact : Gleb Pokrovski

Sources :

Kokh M.A., Akinfiev N.N., Pokrovski G.S., Salvi S., Guillaume D. (2016) The role of carbon dioxide in the transport and fractionation of metals by geological fluids. Geochimica et Cosmochimica Acta (GCA), in press. http://dx.doi.org/10.1016/j.gca.2016.11.007

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