L’exotisme du soufre

L'exotisme du soufre

Ce ne sont pas des créatures vivantes, mais de nouvelles formes chimiques de soufre aux propriétés étonnantes qui ont été identifiées et quantifiées pour la première fois en laboratoire, par deux équipes françaises, dans des fluides analogues de ceux circulant dans la croûte de notre planète. Ces espèces, les ions radicalaires di- et tri-sulfures (S2- et S3-) et des molécules non-chargées (Sn) composées de plusieurs atomes de soufre, pourraient ouvrir de nouvelles pistes pour comprendre les conditions de formation des gisements de métaux précieux comme l’or et le platine, et aider à définir des guides de prospection. Ces résultats sont publiés en ligne dans la revue Earth and Planetary Science Letters.

De tout le tableau périodique, le soufre est probablement l’élément qui possède la chimie la plus riche et la plus étonnante. A la surface de la Terre et dans des procédés industriels, il peut former une pléthore de molécules et d’ions en se combinant avec les éléments les plus répandus (comme l’oxygène et l’hydrogène), de charge électrique, et de valence (0, -1, -2) très variables selon l’environnement où il se trouve. Cependant, depuis les débuts de la géochimie, on a toujours considéré que seulement trois types de soufre sont présents dans les fluides géologiques qui circulent sous terre à haute température et pression et qui forment les gisements économiques des métaux : le sulfure (à base de H2S), le sulfate (à base de H2SO4) et le dioxyde de soufre (SO2). Ce dogme a été récemment bousculé par des équipes de Toulouse et de Nancy qui ont observé l’existence de l’ion trisulfure S3- dans des solutions hydrothermales modèles de laboratoire. Mais jusqu’à présent le domaine de stabilité en température et pression de cet ion, ainsi que sa teneur sont restés inconnus. 
Pour pallier ce manque, les chercheurs de ces mêmes équipes ont analysé in situ plusieurs fluides modèles fabriqués en laboratoire à partir de composés sulfure et sulfate analogues à ceux de la croûte terrestre (températures jusqu’à 500°C, pressions jusqu’à 2 kbar équivalent à une profondeur de 7 km environ). La méthode utilisée est la spectroscopie Raman en cellule capillaire (voir figure). Cette méthode a permis de quantifier les teneurs du S3- et de proposer un modèle thermodynamique capable de prédire, pour la première fois, ses concentrations et sa stabilité dans une très large gamme de températures et profondeurs, depuis le manteau supérieur jusqu’au cratère du volcan. Cependant, une autre surprise attendait les chercheurs : des molécules polymères contenant des chaînes de plusieurs atomes de soufre (-S-S-)n et un autre ion radicalaire, le disulfure (S2-), ont été découverts dans ces fluides expérimentaux. Ces types d’espèces n’étaient pas connus en solution aqueuse jusqu’à présent, et agrandissent donc la famille des espèces soufrées existant sur Terre.
Bien que ces trois espèces restent moins abondantes que le sulfure et le sulfate dans la plupart des fluides géologiques, elles ont des propriétés particulières par rapport aux sulfates et sulfures. Grâce à leur forte affinité pour les métaux en trace comme l’or ou le platine, ces espèces de soufre sont potentiellement capables de les extraire de roches ou magmas et de les transporter sous forme de complexes solubles jusqu’aux sites de dépôt, pour former un gisement d’intérêt économique. De plus, grâce à leur forte réactivité chimique, ces espèces assurent les réactions de réduction de sulfate en sulfure qui sont une des causes de la précipitation des métaux de base (Cu, Zn, Pb, Mo) et de l’uranium sous formes de gisements exploitables économiquement. Enfin, le S3- et les espèces l’accompagnant pourraient bouleverser les modèles de fractionnement des isotopes stables du soufre dont les rapports servent à tracer les origines des fluides métallifères et l’évolution de la biosphère et l’atmosphère terrestre dans le passé.

Contact : Gleb Pokrovski

Sources :

G.S. Pokrovski, J. Dubessy. Stability and abundance of the trisulfur radical ion S3- in hydrothermal fluids. Earth & Planetary Science Letters, 411, 298-309, 2015.

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