Le soufre et l’or

Les ressources économiques de l’or et bien d’autres métaux sur Terre sont dues à un phénomène exceptionnel de concentration du métal d’un facteur 1 000 à 1 000 000 dans les minerais par rapport à ses teneurs moyennes dans les roches terrestres. Ce phénomène est assuré par les fluides qui circulent dans la croûte terrestre, mobilisent, transportent et déposent le métal. Cependant, étant le métal le plus inerte de tout le Tableau Périodique, l’or a toujours été considéré comme difficilement transportable par les fluides géologiques. Un consortium interdisciplinaire composé de géologues, chimistes et physiciens vient de montrer qu’une nouvelle forme de soufre contrôle le transport de l’or et ainsi pourrait expliquer le paradoxe de la formation des gisements d’or. En combinant mesures in situ en laboratoire et sur synchrotron avec modélisations moléculaires sur des fluides aurifères aux conditions de haute température et pression des profondeurs de notre planète, les chercheurs ont trouvé que les radicaux de soufre comme l’ion trisulfure (S3-) s’attachaient très fortement à l’or en facilitant l’extraction, le transport et la précipitation du métal par les fluides. Cette découverte oblige à reprendre les modèles de formation des gisements aurifères et pourrait offrir des pistes pour localiser de nouvelles ressources de métaux précieux et améliorer le traitement de leurs minerais. Ces résultats sont publiés dans la revue Proceedings of National Academy of Science (PNAS).

Une photo obtenue par microscopie électronique à balayage de nano- et microparticules d’or (points brillants) qui se sont déposées, avec des cristaux de pyrite de différente taille (gris), à partir d’une solution hydrothermale contenant du soufre et de l’or dans une expérience en laboratoire.
Une photo obtenue par microscopie électronique à balayage de nano- et microparticules d’or (points brillants) qui se sont déposées, avec des cristaux de pyrite de différente taille (gris), à partir d’une solution hydrothermale contenant du soufre et de l’or dans une expérience en laboratoire.

Bien que l’or soit l’un des métaux les plus rares sur Terre, avec des teneurs moyennes de l’ordre seulement de 1 milligramme par tonne de roche, il existe des endroits dans la croûte terrestre où ce métal se concentre de plusieurs ordres de grandeur dans des roches et filons (jusqu’à parfois 1 kilogramme par tonne), en permettant ainsi une extraction économiquement rentable. Ces anomalies géochimiques extraordinaires (appelées gisements), se forment à partir de fluides aqueux enrichis en sel, soufre et, parfois, CO2 et qui circulent dans la croûte terrestre, extraient le métal des roches et des magmas, puis le transportent et déposent au bon endroit et au bon moment. Cependant, les facteurs favorables à ce transfert de l’or depuis la roche source et l’état du métal dans le fluide restent encore mal compris. La mobilisation et le transport d’un métal par les fluides s’effectuent par formation de complexes entre les ions métalliques et les sels minéraux présents dans ces fluides. Jusqu’à présent, le sulfure (à base de H2S) et le chlorure (à base de sel, comme NaCl ou KCl) ont été considérés comme les seuls composés capables de faciliter le transport de Au en se liant au métal et en formant des complexes solubles dans le fluide (par exemple, AuCl2-, Au(HS)2-). Néanmoins, les capacités de mise en solution de l’or par ces composés (appelésligands) sont médiocres, ce qui rend difficile d’expliquer le paradoxe de formation des gisements et leur distribution sur Terre.

Pour tenter de résoudre cette vielle énigme, quatre équipes françaises réunies autour d’un grand projet ANR (projet SOUMET) ont mesuré, en utilisant des réacteurs et cellules de haute température et pression, et une méthode optique in situ, la spectroscopie d’absorption de rayons X sur synchrotron, les teneurs et l’état chimique de l’or dans des fluides modèles riches en soufre fabriqués en laboratoire aux compositions et conditions analogues à celles dans la croûte terrestre (températures jusqu’à 500°C, pressions jusqu’à 2 kbar équivalent à une profondeur de 7 km environ, teneurs en soufre jusqu’à 3%, teneurs en sel jusqu’à 20%). Ces fluides contiennent majoritairement du sulfure et du chlorure et, en plus faibles quantités, d’autres formes de soufre comme les ions radicalaires S3- (et S2-) découverts récemment. Les chercheurs ont analysé les données obtenues en utilisant des approches d’équilibre chimique et des simulations de dynamique moléculaire afin d’identifier les formes moléculaires de l’or dans ces fluides et quantifier leurs domaines de stabilité. Le résultat a stupéfait les chercheurs: ce ne sont pas les sulfures ou chlorures mais les ions S3- qui se lient très fortement à l’or en formant des complexes très stables (de type Au(HS)S3-), capables de transporter des teneurs en Au 10 à 100 fois supérieures à celles des sulfures ou chlorures à eux tous seuls. Les chercheurs ont proposé un modèle thermodynamique permettant d’estimer la stabilité de ses nouveaux transporteurs d’or et la solubilité du métal dans une large gamme de températures et pressions (jusqu’à au moins 700°C et 10 kbar), des magmas naissant dans les zones de subduction aux sources chaudes jaillissant à la surface.

En appliquant ce modèle aux conditions que les fluides rencontrent lors de leur naissance et leur évolution dans la croûte terrestre, les chercheurs ont démontré que les espèces radicalaires de soufre, bien que moins abondantes que le sulfure ou le chlorure dans la plupart des fluides naturels, sont néanmoins capables d’extraire de grandes quantités d’or du magma lors de son dégazage ou des roches sédimentaires subissant de fortes pressions et températures (appelé phénomène de métamorphisme), puis de les transporter à travers la croûte terrestre. Lorsque ces fluides chauds remontent à la surface, se refroidissent ou rencontrent une roche de composition différente (e.g., calcaire), les radicaux de soufre se décomposent en laissant leur butin d’or se déposer dans des veines et cavités avec des minéraux majeurs (e.g., pyrite – le sulfure de fer le plus abondant auquel l’or est souvent associé). La découverte des complexes stables et mobiles entre Au et S3- aide à expliquer le paradoxe de formation des gisements d’or et permet un plus vaste choix des sites où de nouveaux gisements pourraient être découverts, en offrant plus de potentiel pour l’exploration. Par analogie avec Au, d’autres métaux économiquement importants, comme le molybdène ou le platine qui sont également considérés comme très peu mobiles, pourraient aussi se lier à S3-, augmentant ainsi fortement leur mobilité et leur dépôt par les fluides. Les résultats de cette recherche pourraient aussi aider à améliorer les procédés d’extraction des métaux de leurs minerais et la synthèse hydrothermale de nanomatériaux à base d’or.

Référence :

Pokrovski G.S., Kokh M.A., Guillaume D., Borisova A.Y., Gisquet P., Hazemann J.-L., Lahera E., Del Net W., Proux O., Testemale D., Haigis V., Jonchière R., Seitsonen, A.P., Ferlat G., Vuilleumier R., Saitta A.M., Boiron M.-C., Dubessy J. (2015) Sulfur radical species form gold deposits on Earth. Proceedings of National Academy of Science (PNAS), in press.

Contact : Gleb Pokrovski

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