De l’histoire de la Terre à la mécanique quantique

Au cours des temps géologiques, l’eau de mer transforme le basalte des fonds océaniques en l’attaquant chimiquement. Au terme de ce processus d’altération, le basalte est transformé en partie en argiles et en partie en sels dissous dans l’eau de mer. Le lithium, un élément chimique contenu initialement dans le basalte, va se retrouver alors réparti entre l’argile et l’eau de mer. Cette séparation va avoir des conséquences importantes sur les propriétés du lithium. Dans la nature, les atomes de lithium peuvent être de deux variétés, appelées « isotopes ». Ces deux variétés, notées 7Li et 6Li, ont des masses différentes (7 et 6) et vont présenter des affinités légèrement différentes pour l’argile et l’eau de mer.  Concrètement, la variété 7Li va se retrouver plus concentrée dans la solution que dans l’argile. De la même manière, la plupart des processus géologiques modelant notre planète entraînent des enrichissements isotopiques qui leur sont particuliers, et qui constituent en quelque sorte leur signature. On peut alors utiliser la concentration en 7Li mesurée dans l’argile pour reconstituer l’histoire des événements géologiques qu’elle a connus, tels que l’attaque chimique du basalte. Elle peut servir à reconstruire les climats passés, ou, dans d’autres cas, à comprendre la dynamique interne de la Terre ou la formation du système solaire.

Il est cependant nécessaire de bien comprendre ces mécanismes d’enrichissement pour se servir de ces mesures. Pour cela, des expériences en laboratoire peuvent être réalisées, reproduisant le plus fidèlement possible les conditions naturelles. Une approche plus simple à mettre en œuvre consiste à déduire ces propriétés d’enrichissement de calculs théoriques, basés sur la modélisation des phénomènes quantiques se déroulant à l’échelle de l’atome. A cette échelle, les atomes sont attachés deux à deux par des liaisons, comme par exemple le lithium avec l’atome d’oxygène des molécules d’eau qui l’entourent (Figure). Ces liaisons agissent comme un ressort ou un élastique entre les deux atomes, qui se mettent à vibrer sous l’effet de l’agitation moléculaire. La préférence du  7Li pour l’eau de mer vient alors de sa plus grande masse, qui le fera vibrer avec l’oxygène de manière plus lente que le 6Li. Pour comprendre cette préférence, il faut donc comprendre le comportement dynamique de l’atome de lithium, et comment celui-ci diffère dans l’eau de mer et dans l’argile.

Une méthode approchée très efficace, appelée « approximation harmonique », suppose une proportionnalité entre l’allongement de la liaison et sa force de rappel. Elle a été développée il y a 60 ans et a permis d’estimer précisément ces propriétés dynamiques et d’enrichissement isotopique pour de nombreuses espèces solides, comme les minéraux constituant les roches, et gazeuses, comme les molécules constituant l’atmosphère. L’approximation harmonique a constitué le point de départ de notre compréhension des effets d’enrichissement isotopique, mais son application aux liquides a longtemps posé problème. Les liquides, quoique d’une grande importance dans les processus naturels, sont d’une part plus difficiles à étudier expérimentalement pour leurs propriétés dynamiques, et d’autre part, ils présentent un comportement dynamique complexe, qui pourrait rendre fausse cette approche approximative. Dans ce travail, et sur le cas du lithium, nous montrons indubitablement que pour les liquides, une autre approche doit être utilisée. Cette approche, appelée « dynamique moléculaire d’intégrales de chemin », est basée sur la formulation de la mécanique quantique développée dans les années 1960 par Richard Feynman, Prix Nobel de Physique, et permet le calcul de l’enrichissement isotopique de manière exacte.

En appliquant cette approche au cas du lithium, nous montrons pour la première fois qu’il est indispensable de dépasser les limites de l’approximation harmonique pour comprendre les processus d’enrichissement isotopique des liquides. Ce travail lève par là même le dernier verrou restant à notre compréhension théorique des mécanismes de fractionnement isotopique, en couvrant le cas des liquides.

Référence :

Dupuis R., Benoît M., Tuckerman M.E., Méheut M., 2017. Importance of a fully anharmonic treatment of equilibrium isotope fractionation properties of dissolved ionic species as evidenced by Li+(aq). Accounts of Chemical Research, doi: 10.1021/acs.accounts.6b00607

Contact : Merlin Méheut

Plus d'actualités

IR OZCAR : liens entre la diversité hydrologique et l’hétérogénéité de la zone critique

La zone critique est la partie la plus superficielle de notre planète où l’eau, les roches, l’air et la vie se rencontrent pour façonner notre environnement. Afin de mieux comprendre […]

De nouvelles découvertes révèlent les origines du courant le plus puissant sur Terre

Le Courant Circumpolaire Antarctique est le plus vaste courant océanique sur Terre, connectant les océans Atlantique, Pacifique et Indien. Ce courant régule en grande partie les échanges de chaleur, d’humidité, […]

Découverte d’un important réservoir d’hydrogène dans une mine souterraine en Albanie

Une équipe scientifique internationale impliquant des chercheurs de l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre* – CNRS/IRD/UGA/Univ. Gustave Eiffel/USMB) et du GET, vient de découvrir en Albanie un réservoir d’hydrogène […]

Rechercher